Fuir Boko Haram: Nulle part où aller, nulle part où se cacher

Des millions de Nigérians ont fui Boko Haram, mais ils n’échappent aux violences. 

Au cours de ces dernières semaines, des dizaines de personnes ont trouvé la mort dans une série d’attentats-suicides perpétrés dans les grandes villes du Nord-Est où elles avaient trouvé refuge. Les zones frontalières du Cameroun, du Tchad et du Niger, où les réfugiés s’installent, sont la cible d’attaques croissantes. L’insurrection est si bien implantée qu’elle commence même à frapper les camps de déplacement où les plus vulnérables viennent chercher de l’aide. 

Les autorités procèdent à « l’évacuation » de plus de 4 000 Nigérians hébergés dans le camp de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP) de Malkohi, près de Yola, où une bombe a explosé le matin du 11 septembre, faisant sept victimes et plusieurs dizaines de blessés. Ils sont relogés à Maiduguri, une ville régulièrement prise pour cible par les auteurs d’attentats-suicides, dont bon nombre des jeunes femmes et des filles. 

Des efforts ont été entrepris pour améliorer la sécurité, mais la peur pousse bon nombre de PDIP à demander à quitter les lieux où elles ont trouvé refuge. L’évacuation des camps de Fufore et de Damare a débuté peu de temps après celle du camp voisin de Malkohi : la majorité des personnes évacuées étaient des réfugiés originaires de la région frontalière du Nord-Est qui avaient fui au Cameroun avant d’être rapatriés et renvoyés dans la région de Yola. 

« Laissez-moi vous dire une chose, nous vivons dans une atmosphère de désespoir et d’angoisse », explique à IRIN Njidda Goni qui n’a pas encore quitter Malkohi. « Nous avons peur que quelque chose se produise ici ». 

Halima Babagana, veuve et mère de deux enfants, partage ce sentiment : « Je ne peux pas continuer à vivre dans ce camp, car personne ne peut dire quand ces gens, ces Boko Haram, frapperont. On craint qu’ils aient des informateurs ou des membres dans le camp. Je suis contente que nous soyons évacués par le gouvernement fédéral, car sinon bon nombre d’entre nous auraient trouvé un [autre] endroit où vivre, bon nombre d’entre nous auraient même quitté le camp ». 

AFIN DE PREVENIR LES ATTAQUES, 50 officiers de sécurité, notamment des soldats, des policiers et des membres de la défense civile, ont été déployés dans chaque camp de la région. De plus, les PDIP ont créé des groupes d’« auto-défense » pour maintenir l’ordre et signaler toute activité ou tout mouvement suspect. 

Mais depuis l’attaque du camp de Malkohi au mois septembre, bon nombre de personnes sont terrorisées et souhaitent partir. 

« Je ne resterai pas dans ce camp à cause de l’attentat à la bombe et parce que le dernier incident s’est produit quelques heures seulement après l’arrivée de nouveaux déplacés », explique Modu Ba’ana, un résident du camp originaire de Gwoza, au sud-est de Maiduguri. « Nous avons peur de ce qu’il pourrait nous arriver ici, dans le camp ». 

La majorité des résidents pensent que des membres de Boko Haram se sont infiltrés dans le camp en se faisant passer pour des PDIP. 

« Tout le monde se connait dans le camp. Nous savons d’où nous sommes venus », explique à IRIN Bello Kabir, un autre résident du camp de Malkohi. « Et le fait que l’armée amène des inconnus ici, en particulier des personnes originaires de la forêt de Sambisa [une cache présumée de Boko Haram], nous a toujours inquiété. Regardez ce qu’il nous est arrivé ! Des PDIP que nous ne connaissons pas ont été amenés ici et une bombe a explosé. Qui est responsable, selon vous ? ». 

Abdul Azeez Afunku, le directeur du camp, confirme qu’environ 200 PDIP supplémentaires ont été enregistrées la veille de l’explosion et qu’elles étaient hébergées sous la tente où la bombe a explosé, mais il affirme que chaque personne, y compris les visiteurs, fait l’objet d’une fouille et que les identités sont vérifiées avant l’entrée dans le camp. 

David Moses, qui travaille pour un groupe de revendication local, ‘Youth Against Terrorism’, dit à IRIN : « Il est évident qu’une personne n’a pas été fouillée ou n’a pas été correctement fouillée. D’une manière ou d’une autre, il y a eu une faille de sécurité fatale ».

Les autorités du camp et la police locale indiquent qu’elles enquêtent toujours sur l’explosion. 

EN DÉBUT D'ANNÉE, l’armée a intercepté des conversations téléphoniques entre un groupe de femmes déplacées du camp de Malkohi et un groupe d’hommes se trouvant dans la forêt de Sambisa et qui se sont révélés être des membres de Boko Haram. Le camp a été évacué pendant que les forces de sécurité fouillaient le site à la recherche de bombes, mais elles n’ont rien trouvé. 

Le lieu de l’explosion dans le camp de PDIP de Malkohi, à Yola (Ibrahim Abdul'Aziz

Le lieu de l’explosion dans le camp de PDIP de Malkohi, à Yola (Ibrahim Abdul'Aziz

Les résidents ont eu peur, mais le niveau de précaution les a rassurés. Les résidents et les experts de la sécurité se demandent comment un tel dispositif a pu être introduit dans le camp sans que personne ne s’en aperçoive. 

L’attaque a soulevé des questions sur la capacité de l’armée nigériane à surveiller les dizaines de camps de déplacement installés dans les Etats de Borno, d’Adamawa et de Yobe, et à assurer la sécurité des personnes qui vivent dans ces camps. 

« Qu’elles [les autorités du camp] viennent et qu’elles emmènent [ces PDIP nouvellement arrivées] ailleurs ou alors nous partirons », dit M. Ba’ana.

Mais c’est une menace en l’air. Lui et les autres n’ont nulle part où aller. Le camp est le seul lieu de la région où ils sont assurés de recevoir un abri, de la nourriture et des articles de base, et d’avoir un certain niveau de sécurité. 

Les agences d’aide humanitaire tentent de venir en aide aux PDIP qui vivent au sein des communautés hôtes, mais souvent, elles sont abandonnées à leur sort une fois qu’elles quittent les camps. 

DEPUIS L’EXPLOSION, l’Agence nationale de gestion des urgences (NEMA) a renforcé la présence des officiers de sécurité dans les camps déplacement du Nord-Est. 

« Comme vous pouvez le constater, des personnels de sécurité supplémentaires ont été déployés pour assurer la sécurité des PDIP », explique à IRIN Sa’ad Bello, coordinateur du camp pour la NEMA, en expliquant que des fouilles sont effectuées régulièrement et que personne ne peut entrer ou sortir du camp sans autorisation officielle.

Le centre médical de Yola soigne un homme blessé dans l’explosion (Ibrahim Abdul'Aziz)

Le centre médical de Yola soigne un homme blessé dans l’explosion (Ibrahim Abdul'Aziz)

« Nous ne voulons plus être pris par surprise, alors la NEMA travaille avec les agences de sécurité pour … assurer la sécurité des résidents ». 

Bawa Abdullahi Wase, un éminent analyste de la sécurité au Nigeria, a appelé à la vigilance et a dit que Boko Haram était déterminé à répandre la terreur et la panique parmi la population en faisant exploser des bombes « dans les zones sensibles où vivent des citoyens vulnérables ». 

« Il est nécessaire et urgent que tout le monde s’intéresse aux questions de sécurité, à tous les niveaux : à la maison, au travail, sur les marchés, dans les lieux de culte, les écoles, etc. Pour vaincre le terrorisme, tout le monde doit mettre la main à la pâte ». 

Angele Dikongue-Atangana, une déléguée du HCR qui s’est rendue dans les camps de PDIP de Yola le mois dernier, explique que l’attentat à la bombe à Malkohi avait pour objectif de saper le moral de ceux qui cherchaient un refuge, mais que personne ne devait baisser les bras. 

« Nous continuerons à travailler tant que nos personnels seront suffisamment en sécurité pour effectuer leur travail comme il le faut, compte tenu des risques associés aux camps de PDIP en ce moment », explique-t-elle à IRIN. « Nous refusons de nous laisser abattre. Nous gagnerons la guerre contre le terrorisme. Nous vaincrons ».